15-05-2024
Un licenciement pour motif grave ne peut être valablement notifié que par la personne qui, au sein de l’entreprise, dispose du pouvoir pour ce faire. On enseigne néanmoins qu’un employeur peut licencier pour motif grave un travailleur par l’intermédiaire d’un mandataire, pour autant qu’il dispose d’un mandat exprès et spécial.
Un jugement du Tribunal du travail de Liège – Division Liège rappelle les principes applicables en la matière.
Monsieur C. est engagé au sein d’une S.R.L. en 2016. Par courrier recommandé du 20 septembre 2021, Monsieur C. est licencié pour motif grave. Ce courrier est signé par Monsieur T., sans précision d’un éventuel titre ou mandat.
Par courrier recommandé du 6 octobre 2021, Monsieur C. a – notamment - contesté la régularité formelle de son licenciement, dès lors que Monsieur T. ne disposait d’aucun pouvoir pour ce faire et qu’aucun document n’avait été publié aux annexes du M.B.
Par courrier du 24 novembre 2021, la S.R.L. conteste les revendications de Monsieur C. en se référant aux statuts de l’entreprise et au fait que le gérant unique de la S.R.L. avait confié un pouvoir spécial à Monsieur T. afin qu’il soit notamment « habilité à signer les éventuels courriers de licenciement ».
A ce courrier, était joint un document intitulé « Délégation de pouvoir à Monsieur T. » et signé « bon pour pouvoir spécial » par le gérant unique le jour précédent le licenciement pour motif grave de Monsieur C.
Dans un jugement du 1er août 2023, le Tribunal du travail de Liège – Division Liège fait droit à la demande de Monsieur C.
Pour fonder sa conviction, le Tribunal rappelle tout d’abord les principes applicables pour vérifier la validité d’un licenciement pour motif grave opéré par un mandataire
Trois textes légaux doivent alors être mis en perspective :
- la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail fixant les conditions de forme d’un licenciement pour grave ;
- le Code des Sociétés et des Associations qui fixe les formalités de publicité et d’opposabilité des actes ainsi que celles d’administration et de représentation des personnes morales ;
- le Code civil qui fixe les règles générales applicables au mandat.
Après avoir développé ce qui précède, le Tribunal a retenu que le licenciement pour motif grave notifié par Monsieur T. était dénué d’effet, dès lors que la S.R.L. a échoué à rapporter la preuve qu’à la date du 20 septembre 2021, elle lui avait donné mandat spécial et exprès.
Le Tribunal relève que le mandat n’avait pas été publié aux Annexes du M.B. et qu’il n’avait pas été porté à la connaissance de Monsieur C. in tempore non suspecto. Il poursuit en détaillant que le mandat n’avait pas date certaine et qu’aucun élément ne permet d’établir qu’il aurait été rédigé le 20 septembre 2021.
Le Tribunal explique également que la S.R.L. a tacitement ratifié le licenciement le 29 septembre 2021, date d’établissement des documents sociaux de sortie. Elle ne prouve dès lors pas avoir eu connaissance des faits au plus tôt le troisième jour ouvrable précédant cette ratification, soit le 25 septembre 2021.
Il est finalement relevé que Monsieur C. a contesté l’existence du mandat de Monsieur C. dans un délai raisonnable après son licenciement.
Par conséquent, le licenciement de Monsieur C. était irrégulier en la forme et la S.R.L. a été condamné au paiement d’une indemnité compensatoire de préavis.
Qu’en retenir ?
Par ce jugement, le Tribunal du travail de Liège rappelle utilement les fondements de la compétence de l’auteur d’une rupture pour motif grave. Dès lors que l’entreprise échoue à rapporter la preuve de la délivrance, in tempore non suspecto, d’un mandat exprès et spécial, et pour autant que le travailleur conteste cette irrégularité dans un délai raisonnable, le congé pour motif grave notifié via ce prétendu mandat est dénué d’effet.
Un tel cas prévaut évidemment dans une situation où ce mandat n’est pas publié aux Annexes du M.B.
Le Tribunal explore également la question de la ratification de l’acte posé par un auteur incompétent en retenant que la régularité du licenciement pour motif grave est subordonnée au fait que la ratification intervienne dans les trois jours ouvrables qui suivent la connaissance du motif grave par la personne ou l’organe habilité à rompre le contrat au nom et pour compte de l’employeur.
Dans une telle situation, nous ne pouvons que conseiller d’annexer au(x) courrier(s) de licenciement pour motif grave un mandat exprès et spécial, rédigé en bonne et due forme, et ce en vue d’éviter le débat de la compétence de l’auteur de la rupture.
Réf. : Trib. Trav. Liège, division Liège, 1er août 2023 (R.G. n° 21/3364/A).