22-04-2022
Dans un jugement du 25 mars 2022, le Tribunal du travail de Liège, division Liège a condamné une ASBL à verser une indemnité forfaitaire de 6 mois de rémunération à un ancien employé ensuite d’une discrimination directe fondée sur le critère protégé de la naissance.
Monsieur C a été engagé par l’ASBL au cours de l’année scolaire 2018-2019 en tant que maître d’éducation physique et de psychomotricité dans le cadre de différents contrats d’engagement à titre temporaire sur une période s’étalant du 3 septembre 2018 au 30 juin 2019.
Monsieur C est le frère de Madame M-L, également enseignante au sein de l’un des établissements de l’ASBL.
En 2018, le conseiller en prévention - risques psychosociaux du SEPP a été amené à intervenir suite à des conflits relationnels existant entre différents membres du personnel de l’ASBL. Il est établi que ces conflits trouvent leur source dans des liens amoureux ou familiaux entre certains membres du personne.
En suite de cette intervention, l'ASBL décide de modifier sa politique d'embauche et de ne plus engager de membres du personnel appartenant à une même famille.
Monsieur C ayant fait part de sa volonté de continuer à travailler après le 30 juin 2019 au sein des établissements de l’ASBL, il se voit opposer un refus au motif que la politique d’embauche a été modifiée.
Par son jugement, le Tribunal du travail rappelle que le présent litige relève du champ d’application du décret de la Communauté française du 12 décembre 2008 relatif à la lutte contre certaines formes de discrimination, notamment en matière de « relations d’emploi » (article 4 du décret).
Il précise par ailleurs qu’une distinction directe ne constitue pas une discrimination si cette distinction est objectivement justifiée par un but légitime et que les moyens de réaliser ce but son appropriés et nécessaires (articles 5, al. 3 et 9, al. 1 du décret).
Le décret adopte en outre le système du partage de la charge de la preuve par lequel lorsque la personne qui s’estime victime d’une discrimination invoque devant la juridiction compétente des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination, il incombe au défendeur de prouver qu’il n’y a pas eu de discrimination (article 42 du décret).
En l’espèce, le Tribunal considère que les faits invoqués par Monsieur C sont de nature à faire présumer une discrimination directe fondée sur la naissance et qu’il n’est pas contesté que le but poursuivi par l’ASBL est de prévenir les conflits ainsi que les risques psychosociaux et que cet objectif est légitime.
Partant, la question à se poser est la suivante : pareille politique d’embauche est-elle appropriée et nécessaire, soit proportionnée, pour atteindre le but de prévention des conflits et risques psychosociaux ?
Au regard du principe du partage de la preuve, le Tribunal rappelle qu’il appartient à l’ASBL de démontrer que la mesure n’est pas discriminatoire et plus précisément qu’elle n’est pas disproportionnée par rapport à l’objectif visant à prévenir les conflits et les risques psychosociaux.
Le Tribunal estime que l’ASBL échoue à apporter cette preuve et que la discrimination directe sur base de la naissance est établie, notamment car :
- L’ASBL ne démontre pas qu’il s’agissait de la seule mesure permettant d’atteindre l’objectif visé et le fait que cela consistait en la mesure la plus efficace selon l’ASBL n’est pas suffisant ;
- Le rapport du SEPP ne recommande pas de prendre une telle mesure et l’ASBL ne démontre pas que les mesures proposées par le SEPP n’étaient pas susceptibles de permettre d’atteindre l’objectif ;
- L’ASBL ne démontre pas qu’il y aurait un risque concret et quelque peu étayé de conflit entre Monsieur C et sa sœur, ou avec d’autre membre du personnel en raison de ce lien de parenté ;
- Les engagements précédents de Monsieur C par l’ASBL ne permettent pas de démontrer que la décision prise par l’ASBL notifiée à Monsieur C en décembre 2018 de ne plus l’engager à partir de la rentrée scolaire de 2019 en raison de son lien de parenté n’est pas discriminatoire.
Qu’en penser ?
Bien que l’objectif visant à prévenir les conflits et les risques psychosociaux soit légitime, il ne peut justifier la mise en place d’une politique d’embauche qui prévoit que des personnes d’une même famille ne peuvent être embauchées par le même employeur, à fortiori lorsque d’autres mesures auraient pu être mises en place par ce même employeur.
Pareille mesure est donc reconnue comme une distinction directe fondée sur la naissance disproportionnée, et est donc discriminatoire.
Réf.: T.T. Liège (div. Liège), 25 mars 2022 (RG n° 50/1546/A)